Coopération Sino-Burkinabè : Interview avec le Président de l’Alliance des Jeunes pour la Paix et le Développement au Burkina Faso
Nous avons eu le privilège d’interviewer M. Brice Tegawende, le Président de l’Alliance des Jeunes pour la Paix et le Développement au Burkina Faso. Cette discussion a porté sur les relations entre la Chine et le Burkina Faso après cinq années de coopération. M. Tegawende a apporté quelques éclairages essentiels sur les développements, les défis et les perspectives de cette collaboration stratégique, offrant ainsi un aperçu précieux des relations entre la Chine et le Burkina Faso.
Ci-dessous l’interview complète :
- Bonjour M. Tegawende Brice. Veuillez s’il vous plaît vous présenter à notre audience
Je suis Tegawende Brice Ouédraogo, âgé de 25 ans et je suis économiste de développement en formation á L’université Clermont Auvergne/ Centre d’Étude et de Recherche sur le Développement International en France. Je suis par ailleurs président du Bureau Exécutif National de l’Alliance des Jeunes pour la Paix et le Développement au Burkina Faso (AJPD-BF) et Secrétaire General des Burkinabé de Clermont-Ferrand. Avant de rejoindre le CERDI, après l’obtention du Baccalauréat Série D au Collège de La Salle, j’ai obtenu la bourse d’excellence du gouvernement chinois pour poursuivre mes études académiques en République populaire de Chine de septembre 2017 à juin 2022 où j’ai pu obtenir mon diplôme (Bac+4) en Économie option statistiques économiques à 浙江工商大学 ( Zhejiang Gongshang University) dans la ville de Hangzhou. J’ai par ailleurs servi comme président des étudiants de la faculté de statistiques et mathématiques dans cette université de 2019 à 2022, ensuite comme Responsable du département d’étude au sein du Conseil des étudiants internationaux de l’université et enfin comme porte-parole des étudiants burkinabé auprès de l’ambassade de Chine au Burkina Faso de 2020 à 2022. À cet effet je suis le vice-président du Réseau des Étudiants et Alumni Chine Burkina et nous travaillons de proximité avec l’équipe diplomatique afin de renforcer la coopération entre nos deux peuples.
- Depuis combien d’années êtes-vous impliquez dans les relations sino-burkinabées ?
Après le sommet Chine-Afrique qui s’est tenu en septembre 2018 à Pékin, j’ai commencé à intervenir peu à peu dans la coopération mais mon implication s’est vu être amplifiée à partir de 2020 où j’ai commencé à travailler et à diriger des pourparlers et des négociations entre le comité des étudiants boursiers et la mission diplomatique chinoise au Burkina Faso. A cet effet j’ai eu plusieurs échanges avec SEM Li Jian ancien ambassadeur de la Chine au Burkina Faso, mais aussi avec SEM Lu Shan et Mr. Wang respectivement ambassadeur de la Chine au Burkina Faso et conseiller politique de l’ambassade du Burkina Faso autour de la coopération professionnelle.
- La Chine et le Burkina Faso ont ensemble célébré 5 années de coopération récemment, quel bilan faites-vous cette collaboration ?
En effet le 26 mai 2023 marquait la célébration des 5 années de coopération et c’est le moment pour nos deux nations de marquer une pause pour réfléchir sur les acquis de cette coopération mais surtout de réfléchir sur les nouvelles priorités qui définissent la vision de développement que nos deux nations ont. À mon humble avis, plusieurs actions fructueuses ont été menées dans le sens de la coopération allant du domaine de l’éducation, la santé, l’agriculture, à la lutte contre le terrorisme. Nos deux peuples témoignent une même histoire, une vision réciproque de développent, le bien-être social et c’est l’occasion pour nos deux nations de repenser le futur ensemble, d’élargir les zones d’interventions, d’accroitre les actions afin de renforcer davantage cette coopération sino-burkinabée.
- Pouvez-vous en quelques mots nous présenter le tableau économique entre la Chine et le Burkina Faso et quelles sont selon vous les plus grandes réalisations de la Chine au Burkina Faso. Quel impact cela a eu sur le développement économique du pays et par ricochet sur les populations locales ?
En effet depuis la reprise des relations diplomatiques entre nos deux nations, la Chine a effectué d’importantes réalisations au Burkina Faso. Les plus grandes selon les rapports ont été réalisées principalement dans le domaine de la Santé, l’Agriculture, l’Éducation, la lutte contre le terrorisme ainsi que dans le domaine humanitaire, et commercial. Toutes ces réalisations ne sont pas sans conséquence sur le renforcement du capital humain et du bien-être social des populations.
- Sur le plan sanitaire
D’abord, un projet de construction du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Bobo-Dioulasso a été mis en place. Ce projet d’un coût de réalisation de 60 milliards de Francs CFA est prévu achevé en février 2025. Ce Centre Hospitalier Universitaire est doté d’une technologie de pointe, avec une capacité d’accueil de 500 lits, comprenant neuf zones de fonctionnalité, dont les services d’urgences, d’hospitalisation. Une fois réalisé, cet hôpital sera capable de prendre en charge presque toutes les pathologies. Il vient aussi améliorer de manière significative, l’accès aux services de santé de qualité et accroitre les infrastructures sanitaires.
Ensuite, s’agissant des missions médicales chinoises, la Chine a envoyé successivement depuis 2018, 5 équipes médicales au Burkina Faso soit 51 spécialistes au total. A travers la MMC, plus de 10 000 consultations médicales, 1 000 opérations et 10 000 traitements de la médecine traditionnelle chinoise tels que l’acupuncture, les ventouses et la moxibustion ont été effectué notamment au CHU de Tengandogo où travaillent les médecins chinois. Elle a par ailleurs réalisé en août 2021, avec ses collègues burkinabè, la première opération de remplacement de l’aorte abdominale au Burkina Faso, un véritable succès sanitaire. A travers son programme « Action lumière », la mission médicale Chinoise a mené avec succès des opérations gratuites de la cataracte. Elle a aussi permis l’accès aux populations aux services de santé et surtout à celles en milieu rural en procédant à des consultations gratuites dans plusieurs localités comme Kombisiri. Enfin, dans le cadre de la lutte anti-Covid 19, la Chine a fait un don de matériels médicaux et d’équipements en avril 2020 composé entre autres de respirateurs, de machines à oxygène, de thermos flashs, de combinaisons de protection, et des boîtes réactives de détection.
- Il faut noter aussi que dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au Burkina Faso, la Chine a fait don d’équipements militaires aux forces combattantes. Une initiative saluée par le Chef du gouvernement.
- Sur le plan agricole
La Chine s’est engagée à partager son expérience et sa technologie de développement agricole pour accompagner le pays des hommes intègres à améliorer la production agricole et à réaliser l’autosuffisance alimentaire, par la mise en place de deux projets importants. Il s’agit donc de l’équipe de l’Assistance Technique Agricole Chinoise et celle de l’Assistance Technique pour la Démonstration de Culture de Mil au sol. Grâce à l’équipe de l’Assistance Technique Agricole Chinoise, de nombreux résultats ont été engrangés en matière d’aménagement de nouveaux bas-fonds, de réalisation d’ouvrage hydro-agricole, d’intensification de la production rizicole, de renforcement du capital humain ainsi que d’appui en équipements agricoles. Dans les zones de démonstration agricole, le rendement moyen du riz atteint 5,4 tonnes/ha. S’agissant du projet Mil, il a permis d’établir une base de sélection des semences de 65 hectares à Loumbila. Il a également été construit 10 sites de démonstration à travers le pays et a réalisé 20 campagnes de démonstration de culture couvrant une superficie de plus de 500 hectares. Aussi, il a introduit avec succès la variété de mil perlé-SUPERSOSAT au Burkina Faso, dont le rendement moyen atteint 2,98 tonnes/ha, soit trois fois plus que celui du mil perlé local.
- Assistance humanitaire et alimentaire
Sur le plan humanitaire, la Chine a fait un don de matériels contenant des tentes, des moustiquaires, des médicaments et d’autres produits de première nécessité d’une valeur estimée à plus de 711 millions de F CFA pour un accompagnement des PDIs. Sur le plan alimentaire, 4084 tonnes de sorgho ont été fournies par la partie chinoise le 3 mars 2023 pour accompagner plus de 170 000 personnes vulnérables, d’une valeur de 3 millions de dollars, soit 1,8 milliards de F CFA ainsi que 5331 tonnes d’aide alimentaire d’urgence et 1 million de dollars afin de soulager les personnes vulnérables et les populations déplacées.
- Sur le plan de l’éducation
Un projet de résorption des écoles primaires sous paillotes a été réalisé grâce à une subvention de 10 millions de dollars par la Chine, 113 complexes scolaires correspondants à 339 salles de classes sous paillotes ont été effacées, 113 forages, 600 latrines ont été construits dans 6 régions burkinabè, ce qui profite à près de 30 000 élèves.
- Sur le plan Commercial
En 2022, les deux pays ont signé un accord permettant d’annuler les droits de douane sur 98% des produits d’origine du Burkina Faso afin de faciliter les échanges commerciaux entre les deux pays.Le taux d’exportation du coton du Burkina Faso s’est également accru, passant de 36.9 millions de dollars US en 2018 à 55 millions de dollars US en 2022.Quant au sésame, son exportation vers la Chine grimpe à plus de 27.2 millions de dollars US en 2022, soit centaines de fois supérieure au montant en 2018.
- En tant qu’ancien porte-parole d’étudiants Burkinabé, pouvez-vous nous narrer la situation des étudiants Burkinabè en Chine ?
Notons que depuis la reprise des relations diplomatiques le nombre d’étudiant Burkinabè en Chine a considérablement augmenté. Pour ma part, je pense que les étudiants burkinabés sont très bien accueillis en Chine et je dirai même souvent privilégiés sur certaines questions dans certaines universités. Il faut noter que la majorité des étudiants burkinabé en général sont très bien appréciés des universités à cause des excellentes performances académiques. Cependant l’accueil peut différer d’une zone à une autre et la différence peut s’expliquée par les chocs culturels sur le territoire chinois. Aussi, important est de noter aujourd’hui la nécessité de renforcer la coopération professionnelle entre la Chine et le Burkina Faso spécifiquement à travers les bourses études et les programmes de stages de l’ambassade. Avec d’autres acteurs de la coopération, nous y travaillons afin d’augmenter les quotas de bourse d’étude pour une meilleure coopération bilatérale.
- Comment gérez-vous les différences culturelles et les barrières linguistiques dans vos interactions avec des partenaires chinois ?
Chaque nation a une identique culturelle reliée à l’histoire de son peuple et comme toute nation, la république populaire de Chine a sa culture qui est spécifique à elle. Pour ma part je ne conçois pas la différence culturelle et linguistique comme une barrière mais plutôt comme une opportunité d’apprentissage car il faut le dire si nous voulons bien coopérer avec cette nation, il nous faut bien comprendre et assimiler la culture aussi bien que la langue. Aussi, notons que cela est un enjeu majeur dans la sphère diplomatique car lorsque nous voulons planifier le futur avec des partenaires , il nous faut bien comprendre leur culture et parler le même langage pour des une vision commune , et je pense que c’est le format qui est utilisé par les diplomates Chinois car aujourd’hui beaucoup de diplomates chinois comprennent bien la culture Burkinabé et africaine en générale mais aussi parlent le Français et souvent des langues locales du Burkina Faso .
- Quels mécanismes de dialogue et de coordination utilisez-vous pour renforcer la communication avec vos partenaires chinois ?
Avec les partenaires chinois, nous essayons dans la mesure du possible de renforcer le dialogue entre nos deux parties et le mécanisme de dialogue diffère très souvent selon les instances. Cependant nos différents dialogues peuvent être entre autres de l’échange d’informations, des consultations mutuelles et même souvent des négociations selon l’objectif visé.
- Que pensez de la réouverture des frontières aériennes et terrestres par la Chine après la pandémie du Coronavirus ?
Les années 2019, 2020, 2021 fut des années qui ont marqué l’ordre mondial notamment par la pandémie du covid-19. Cependant à l’échelle macroéconomique tout comme microéconomique, l’économie s’est vu être affectée et cela en grande partie à cause de la fermeture des frontières chinoises car il faut le dire, la Chine est aujourd’hui le 1er exportateur mondial de marchandises avec une valeur moyenne de $2600 milliards. Nous avons grandement salué la réouverture des frontières car cela a permis aux moyennes et petites entreprises de reprendre notamment leur activité commerciale. De surcroit, cette reprise vient en quelque sorte bonifier le climat d’affaire existant avec la Chine et par ailleurs ouvrir d’autres perspectives de la coopération avec le retour des voyages en Chine populaire.
- Quels sont les projets ou initiatives spécifiques menés par la communauté estudiantine du Burkina Faso pour promouvoir la culture et les valeurs Burkinabè en Chine ?
Nous avons une grande communauté Burkinabè vivant en chine et je profite de cette plateforme pour saluer la mission diplomatique à Pékin et l’ensemble des compatriotes. Les projets sont multiformes mais il faut noter que nous avons une communauté unie qui ne cesse de manifester cette union et nos valeurs qui font de nous, des hommes et femmes intègres du Burkina Faso, à travers plusieurs activités de rassemblement mais aussi à travers certaines actions entrant dans la dynamique de contribuer à la construction de l’édifice de notre nation, le Burkina Faso. J’ai beaucoup apprécié l’élan de patriotisme dont a fait preuve la communauté pour participer à l’effort de guerre contre le terrorisme. Par ailleurs je salue également l’excellence, la discipline et les différentes réalisations menées par mes chers compatriotes car depuis fort longtemps les étudiants Burkinabè ont toujours su se démarquer de leurs pairs, par leur excellente performance académique, faisant ainsi la fierté et la promotion de notre nation.
- Qu’auriez-vous préconisé aux autorités chinoises et Burkinabés pour faciliter l’entrée des produits Burkinabè sur le marché chinois qui compte environ 1 milliard 500 millions d’habitants.
Au titre de la coopération commerciale, judicieux est de souligner que depuis le rétablissement des relations diplomatiques en 2018, le Burkina Faso est devenu éligible à la préférence commerciale avec 97% des produits burkinabè qui sont franchis des droits de douane sur le marché chinois. Comme mentionnée précédemment, en 2022 l’annulation des droits de douanes est passée à 98% des produits et cela représente un avantage concurrentiel pour le Burkina Faso. Aussi, notons que les échanges commerciaux ont considérablement augmenté de 318 millions de dollars en 2018 à 604 millions de dollars en 2022. Cependant je pense qu’il y’a encore des actions et de la réflexion à mener afin de renforcer ces échanges entre deux nos pays pour des bénéfices mutuels.
- Quel message pouvez-vous adresser à l’ensemble des Burkinabés pour maintenir la flamme de la coopération sino-burkinabée ?
Aujourd’hui la Chine est l’un des grands partenaires de notre peuple comme d’autres partenaires et je crois fermement à la potentialité et aux enjeux économiques de cette coopération. Nous partageons plusieurs pages communes de l’histoire de nos deux peuples mais nous partageons également certaines valeurs comme l’intégrité, la justice, au le patriotisme, le bien-être des populations et le développement économique. Ceci est une invitation à nos autorités à travailler mais surtout à rentabiliser, maximiser les atouts de ce partenariat pour une coopération saine, équilibrée et prospère au profit du développement économique du Burkina Faso. « Un arbre géant naît d’un germe infime, une tour à neuf étages part d’une poignée de terre » et je demeure convaincu d’une coopération aux bénéfices mutuels de nos deux peuples.